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Ecrits

Période de formation, 1935 -1940: Lettres de Suzanne Humbert

Février 1935, Suzanne séjourne dans une pension au-dessus de Nice et découvre avec ravissement les paysages de la Côte d’Azur :

… c'est absolument admirable comme situation, surplombant la rade de Villefranche, une terrasse en plein midi : je choisis ma chambre (...) et surtout à mon usage particulier une petite terrasse au-dessus de la mer, au midi, avec une porte-fenêtre, la seule de la maison, et j'ai devant un grand arbre tout en fleurs, qui est un mimosa, c'est ravissant. (…) Tout de suite derrière c'est la forêt de pinède, il y a de petits sentiers et des bancs. Et la vue de ma terrasse est si belle – c'est inimaginable.

… le soleil se levait derrière la montagne, il venait sur ma terrasse, contre-jour avec l'arbre mimosa. J'ai bondi sur ma boîte à pouce et j'ai fait une petite pochade du lever de soleil, c'était admirable. (…) Pour l'instant je suis à Villefranche sur le port, il fait un temps merveilleux et je n'ai jamais rien vu d'aussi beau que la baie de Villefranche. J'ai emporté ma boîte à pouce. Mais comme tout m'emballe et que je voudrais tout faire, pour aujourd'hui je me contente de regarder, de respirer.

Ce matin, j'ai fait une petite pochade de la baie, le soleil encore bas. Puis je suis retournée terminer ma vue sur vieux toits à Villefranche. [Èze] est un village extraordinaire, toutes les rues en escaliers et des tas de voûtes. Des ruines du château c'est un coup d'œil superbe sur Beaulieu, le Cap Ferrat, Villefranche, et derrière des montagnes. J'ai emporté la boîte à pouce de Mr. Maury et je fais deux pochades.

Suzanne Humbert à Villefranche-sur-Mer, Février 1935

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… nous allons à Villefranche repérer les coins pittoresques : ils surabondent, et j'ai de quoi faire : les rues étroites, en gradins, et une quantité énorme de linge qui sèche – toute une rue, du xvie siècle, passant sous des voûtes, obscurité totale à n'avancer qu'avec peine. On s'installe pendant une heure jusqu'à la nuit sur un banc du vieux port, je sors mon carnet de croquis et mes pastels. Les maisons ont de si jolies couleurs, rose, jaune, mauve, les volets verts ou bleus. Hier matin, de la terrasse, 4 pochades de la mer et du ciel. 

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Si vous voyiez ma chambre, une véritable galerie d'exposition, rien n'est encore sec, j'ai déjà 10 petites pochades et 3 plus grandes, tout ça s'aligne un peu partout le long des murs, de l'armoire au fauteuil, et ça augmente tous les jours.

Tu as l'air de penser que je renie presque la peinture... Si tu voyais ma chambre : parfaitement rangée, ne vous en déplaise, des cartons frais un peu partout. C'est un si beau pays pour peindre. Je suis les conseils de Mr. Maury, je n'ai encore fait que de toutes petites choses, j'aimerais bien maintenant entreprendre une chose un peu plus importante, une rue de Villefranche par exemple (que nous avons exploré hier) si le soleil se remontre. Mais si je délaissais la peinture qu'est-ce que j'aurais !... C'est bien joli aussi un pays sous la pluie, une harmonie de gris, ça repose du soleil. Mais enfin tout le monde serait content s'il revenait…

Au réveil ce matin en ouvrant les volets à 8 heures, soleil splendide  au-dessus du mimosa, et ciel très pur. J'installe mon barda, boîte, toile, chevalet, et je pars pour Villefranche où nous avions été explorer la vieille ville avant-hier après-midi. Plusieurs coins me tentent, mais il faut choisir, et je me décide pour une vieille rue en gradins avec échappée sur la mer. Je n'ai pas fini et il faudra que j'y retourne. 

Cagnes est un village merveilleux comme pittoresque et situation, accroché à la montagne (décidément c'est la région des villages « uniques »). Il y a toute une colonie d'artistes. « C'est là que je voudrais vivre, c'est là que je etc... ». J'ai emporté mes pastels et je fais un croquis de la vue générale..

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Aujourd’hui, fignolage de la vieille rue de Villefranche. Puis j'installe mon chevalet sur la terrasse du haut, pour avoir la terrasse du bas avec ses parasols. J'ai fait cela très vite, mais c'est bien réussi, je crois. Pour la toile « étudiée », Monsieur Maury n'en était pas partisan et j'ai peur de tomber dans le « bourgeois ». Je viens d'en faire une un peu plus finie, mais petite (j'y ai passé 2 matinées – une vieille rue de Villefranche, mais ce ne sont pas à mon avis des choses que l'on peut donner au Salon. (,,,) Ce matin j'ai été dans la forêt de pins du mont Boron et j'ai peint une échappée sur un mas avec arbres en fleurs. C'était très joli – mais ce que j'ai fait n'est pas bien beau.

Paris, fin décembre 1935

A l'atelier ça va très mal. Le patron m'a encore fait une scène, il paraît que je suis « vidée » (provisoirement), « qu'on n'est pas des chevaux », que c'est faiblard et maladif, qu'il faut que je reste un bout de temps sans rien faire, sans penser à la peinture. Il est bon, lui, quoi faire alors ? Si au moins j'étais sûre que ça me recharge…

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L'atelier de M. Maury à l'Académie Julian, 1935 (Suzanne Humbert assise au centre). 

Verdun, septembre 1936

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Depuis que nous sommes arrivées nous avons un vilain temps gris, sauf hier un ciel magnifique bleu intense, gris foncé et de grands nuages blancs qui courent. Comme j'étais en train de peindre une assez grande toile d'un coin de Verdun le long du canal, j'ai bien vite installé dedans ce ciel mouvementé et l'éclairage : mais je ne retrouverai plus ni l'un ni l'autre, pour terminer, et je ne sais ce que cela va devenir. Hier encore, en revenant de Saint-Mihiel sur Verdun, un coucher de soleil à en rester bouche bée. On a arrêté la voiture un moment parce que Marguerite, ma jeune cousine, qui conduisait, d'émotion esthétique risquait de nous envoyer dans un arbre…

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Paris, mars 1937, en pleine préparation du concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts

Hier et avant hier j'ai travaillé toute la journée, pas fiévreusement, plutôt en amateur, presque comme si je lisais un roman. Ça n'est pas ennuyeux, mais alors je me reproche de gâcher presque un temps que je pourrais employer à retenir de substantiels condensés. Mais à quoi bon puisque cette nuit j'ai rêvé de ce bienheureux concours : on nous distribuait des feuilles de papier Ingres format cartes de visite et on nous disait de faire tenir le modèle entier dedans. Je me désolais parce que je n'aime pas le genre miniature, et puis je n'avais pas de fusain, pas de fil à plomb. J'étais refusée…

Gagny, septembre 1937

[Je vous écris] au son du 2e mouvement (andante con moto) de la Symphonie Inachevée. Puis le chant lieder (?) du Roi des Aulnes – J'ai, je crois, exactement l'état d'âme qu'il faut pour entendre cette musique : je suis devant la porte-fenêtre du bureau, contre-jour sur la balustrade en pierre, au-delà la pelouse, et les arbres qui prennent des tons d'automne. Une minute d'arrêt pour savourer Moussorgski, tragique et chargé d'orage, tout s'apaise, c'est fini. […] Vendredi matin j’ai commencé le portrait d’Andrée, que nous avons continué l’après-midi. Séance entrecoupée de travail à d’autres toiles (je n’ai que l’embarras du choix). […] Samedi matin, travail au portrait d’Andrée qui ne pose pas très bien.

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Suzanne Humbert dans son atelier à Gagny, 1937

Paris, décembre 1939

… j'ai fait à l'atelier de litho quelques bons croquis d'après un modèle et un grand dessin rehaussé de pastel, pas mauvais. Cette semaine, pas de modèle, mais nous avons entrepris, Fesneau, Le Pesqueux, Sonia, Arvaux (un petit jeunet, « le fou de la rue des Saints-Pères », l'éclopé du Bal des 4'Z'Arts », et moi, de déménager en partie l'ancien atelier de litho dans notre nouvel atelier, encore bien démuni. Nous avons trimbalé des pierres, des sacs de sable, des tamis, la presse, quelques tabourets. Il y a encore des tables, des tabourets, l'armoire, etc... mais nous attendons des nouveaux pour le faire. Et puis hier Mr Jaudon, malade, ayant téléphoné qu'il ne venait pas, nous avons pris une décision énergique, et nous avons entrepris de commencer chacune une pierre. Il s'agissait avant tout de la « grainer ». Là-dessus, c'était moi la plus calée, et j'avais tout juste entendu Magnard, l'année dernière, dire à des nouveaux comment s'y prendre. Enfin, avec un air faussement compétent j'ai fait de belles phrases sur la grosseur du sable : le 80, le 100, le 120, et des tamis à employer, et qu'il fallait se mettre sous le robinet, et faire tourner les pierres l'une sur l'autre, etc... Enfin hier, après un après-midi de travail de forçat sous l'eau, en appuyant bien fort, nous avons laissé les pierres 2 à 2 l'une sur l'autre sans les rincer, avec du sable entre les 2 (toujours sur mes indications). Aujourd'hui j'étais bien un peu inquiète en arrivant, et les cris de fureur de Le Pesqueux quand j'ai ouvert la porte n'étaient pas faits pour me rassurer. Après constatation j'étais moi-même accablée : les pierres 2 par 2 étaient maçonnées, un vrai ciment de romain, impossible de les séparer (je ne sais par quel miracle, puisqu'il n'y avait que du sable et de l'eau). Enfin Arvaux, avec marteau, ciseau, et beaucoup de ronchonnade, est parvenu après pas mal de temps et d'essais, à les séparer. Bien entendu, il a fallu re-grainer le tout.

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Le travail à l'atelier de litho marche bien. La semaine dernière, d'autorité et sans le Patron, j'ai entrepris une pierre et 3 camarades m'ont suivie dans cette voie. Et en même temps que la pierre un petit bois et une pointe sèche. Les tirages ! Ça, ça a été toute une histoire, 3 séances complètes d'après-midi chez Mr Jaudon en attendant l'imprimeur, avec entre-temps essai autonome sur la petite presse de l'ancien atelier de l'Ecole déménagé à la sueur de notre front. Les essais furent épiques, et répétés plusieurs jours avec beaucoup de fantaisie, sinon de compétence. Enfin cet après-midi, de 2 h à 6 h ¼, nous avons, Le Pesqueux et moi, servi d'apprenties à l'imprimeur de Mr Jaudon, chez lui, à sa grande presse, et les tirages sont assez réussis.

Paris, février 1940

Je me lance maintenant dans la gravure sur bois et je scandalise Mr Beltrand par « l'audace de ma technique ». Je voudrais bien en être au tirage. J'ai acheté un jeu d'outils et 2 petits bois.

Ici je suis débordée d'occupation. Résultat du concours d'esquisses : classée 5e, et je monte demain (8 h) pour la figure peinte : 4 jours, 7 h par jour. Mercredi, matin du jugement. Jaudon m'a gentiment procuré une petite satisfaction d'amour-propre « un triomphe » comme il m'a dit : « Tu buvais du lait, hein ? ». Après le jugement, il a fait monter l'aréopage (Desvallières, Othon Friesz, Narbonne, D'Espagnat, Goulinat) à l'atelier de litho, en me demandant de faire les honneurs. Il m'a présentée à tous ces gens, moi et un tirage de litho que j'avais fait d'après un modèle. Desvallières est tout à fait emballé. Il veut faire des tas de choses pour moi. Pour commencer, j'expose au Salon des Tuileries et depuis hier je peins une toile de 40 : les Adieux, que j'avais déjà faits sur une toile de 25. J'enverrai sans doute cela. Et Othon Friesz aussi : il m'a raconté à peu près toute sa vie, ses théories, et c'est un bavard. D'Espagnat, là-dedans, freine le zèle de Desvallières. Pourquoi ?

au cours Yvon (dessin, croquis) où D'Espagnat corrige en ce moment - grandes effusions avec le « Maître » que je n'avais pas vu depuis longtemps.

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L'atelier D'Espagnat aux Beaux-Arts, 1938 ou 1939 (Suzanne Humbert, 3e au 1e rang)

Paris, avril 1940

A l'Ecole, ce matin, j'ai trouvé de grands bouleversements et je suis perplexe, outrée, révoltée, etc... Sabatté a repris son atelier, où quelques élèves se prélassent, et nous, notre atelier est le dépotoir. Il paraît que samedi (où il est déjà venu corriger) on pouvait lui exprimer l'humble requête de faire partie de son atelier, mais que toutes les filles de moins de 28 ans étaient écartées. Mercredi, lui demanderai-je ? Je n'en ai pas envie du tout, mais chez nous, ce n'est plus tenable. Et puis, D'Espagnat est limite d'âge, mais restera-t-il le temps de la guerre ? Il est reparti hier à Figeac.

Enfin je travaille. Je fais de la peinture, de la couture. Je retourne à l'Ecole. Mercredi j'ai mis au point l'affaire Sabatté en prenant les devants et en lui décrétant dans le couloir que je ne voulais pas quitter D'Espagnat et que je ne demandais pas à entrer dans son atelier. J'ai trouvé ça assez astucieux.

Lundi matin à l'atelier, où le modèle a une jolie pose : il a d'ailleurs fallu que je montre une certaine autorité pour me placer où je voulais. Je dérangeais un de ces messieurs en face, faisant une tache dans son fond. Non mais, vous vous rendez compte ! J'ai retrouvé toute mon autorité de sous-massière déchue (comme dit Le Pesqueux) et me sentant appuyée par le massier actuel je n'ai pas fléchi.

Gagny, mai 1940

Ici tout est calme, d'un calme inquiétant. Mais que de tristesse, que de détresse. J'ai commencé ce matin le service d'accueil des réfugiés.

Comment avoir le goût de faire de la peinture avec tout ça ? Mr Jaudon sent la nécessité de nous remonter le moral et gentiment vient à l'Ecole plus souvent que jamais. Il a le don de vous redonner du courage. Hier il m'a annoncé que ma litho du Salon des Tuileries était achetée par l'Etat, que j'allais recevoir l'avis officiel, et il m'a conseillé d'envoyer un mot à Desvallières, ce que j'ai fait le soir même. Pour le concours annuel de litho, il m'avait chargée de rechercher un peu le sujet et j'ai trouvé une poésie de Francis Jammes qui a beaucoup plu à Jaudon et qu'il a tout de suite adoptée. Je me sens très fière. Nous aurons un mois pour le faire. Mais que serons-nous d'ici un mois ? Et comment trouver le goût de travailler ?

Lundi nous avons fait un concours en loge – la Résurrection du Christ. Jugement ce matin. En repassant tout à l'heure à l'Ecole, j'ai été voir l'exposition, j'ai vu que j'avais la 1ère médaille. Je suis contente. Trémois, l'as de Sabatté (qui était du jury) est 2ème. Il y avait à peu près 45 esquisses.

Gagny, juin 1940

L'Ecole ferme samedi prochain, c'est-à-dire après-demain. Mr Jaudon, chez qui nous avons été cet après-midi, nous a annoncé ça en nous demandant de venir toutes à son dernier cours de samedi pour que l'amphi soit un peu garni et parce qu'il nous dira des choses qui tiendront plus « du sermon et de la bénédiction » que du cours de décoration... Aujourd'hui il m'a embrassée sur les deux joues en me faisant des tas de déclarations attendries, que « j'avais été l'âme de l'atelier » etc. etc... Je ne sais pas si je pourrai me décider à quitter Gagny et toutes mes affaires, mes camarades...

Hier, il fallait aller au dernier cours de Mr Jaudon. Emouvant : ça s'est fini par « Vive la France ». Et l'Ecole a fermé ses portes.

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Paris, octobre 1940

Quant à l'évocation de la chambre avec 2 fenêtres sur un parc (abandonné, dites-moi qu'il est abandonné ça me fera plaisir) ça a déclenché le circuit « poétique » dans ma cervelle, comme tout ce qu'on ne connaît pas, que l'imagination construit et entoure d'une espèce de magie – de là à radoter que le réel est bien en-dessous de cette poésie de l'irréel, de l'imaginé... et vous allez bougonner que je « dérape dans la philo »... peut-être aussi que c'est une manière polie de vous dire que je ne tiens pas à connaître votre chambre de Villenoy, à y entrer un beau jour par la porte en chair et en os (pas la porte... la porte, elle doit être en bois – oui je l'imagine en bois, c'est ça : peinte avec du décor de bois (comme dit votre peintre) du côté du corridor et grise du côté de la chambre, le papier est à rayure discrète... peut être à petites fleurs, le parquet est clair et luisant, dommage qu'on y ait mis une descente de lit dessin moquette pas très jolie ; le lit est en cuivre ou en pitchpin... par contre la tenture de la penderie est d'un goût ravissant (saisissez la délicatesse du compliment, j'imagine que c'est vous qui avez acheté le tissu). Il y a 3 chromos au mur (pourquoi 3 ?), une glace au-dessus de la cheminée et sur la table de nuit (au fait, je ne crois pas qu'il y ait de table de nuit), il y a dans un cadre en chromé une espèce de tête d'abrutie à bouclettes follettes. Sur une table ascétique, un désordre intellectuel, à savoir : des livres, cahiers, catalogues de libraire épars, un canif (en fer), des chaussettes sales, et 3 bonbons (pourquoi 3 ?). Sur la cheminée il y a peut être une toute petite Ste Vierge en faïence de Quimper. Et puis les 2 fenêtres grandes et hautes fenêtres par où entre dans la chambre tout le parc abandonné (j'y tiens) avec tous ses arbres, toutes ses branches, toutes ses feuilles...

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Expert est rentré, et pas mal de démobilisés. Il y a beaucoup trop de monde maintenant, cette après-midi c'était à peine tenable : 3 patrons, 1 modèle, et plus de 30 élèves – et en plus une atmosphère fiévreuse de préparation d'exposition : demain matin il faut rendre les « travaux de vacances » (l'école manie l'ironie avec le plus grand naturel). D'Espagnat est mis à la retraite, une complication de plus. C'est Poughéon qui le remplace, ou alors on peut tenter de se faire accepter par Sabatté. Je n'ai pas encore pu me décider à une solution. Actuellement il y a des D'Espagnat chez Narbonne, chez Sabatté et chez Poughéon. Cette dispersion est tout ce qu'il y a de plus démoralisant. Aussi, ne faisant plus partie d'aucun atelier, je ne sais pas si je vais rendre des travaux de peinture. Ou bien, demain matin, si j'ai du courage, je me présenterai à Sabatté (il n'a pas accepté Adam ni Bruneaux). Magnard aussi est revenu.

Paris, novembre 1940

Hier matin, école en effervescence, un mécène veut acheter de la peinture, tout le monde en apporte, on organise une exposition salle Foch – puis on apprend que le mécène, c'est la commission allemande.…

Notices rédigées par Suzanne Humbert à la demande de divers marchands

Le Chapelin, Prouté à Paris, George Binet à New York) 1949 -1951

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Née en 1913 à Paris, enfant unique. Petite enfance marquée par la guerre (père mobilisé, blessé trois fois). De six à seize ans dans une petite pension catholique dont le souvenir garde pour moi un parfum de poésie : chant, piano, etc... dessin, aquarelle, qui dès l’âge de huit ans m’apparaît déjà comme un moyen d’exprimer secrètement beaucoup de choses ressenties très fort sans qu’en souffre le respect humain et une pudeur de la sensibilité. C’est encore sans doute maintenant la raison de ce besoin de peindre et un refuge après des prises de contact avec les réalités décevantes et contre les intempéries de l’existence.

A seize ans, baccalauréat, puis licence en droit (suivant le désir de mon père qui me voulait avocat) sans enthousiasme de ma part, n’ayant pas renoncé à l’espoir d’être peintre. A cet âge, mon goût est très mauvais, celui de mon milieu bourgeois – je fais mes délices des plus mauvaises toiles des artistes français. En même temps que la troisième année de droit, j’obtiens de suivre, comme élève libre, avec une amie de pension, les cours de décoration de l’école Elisa Lemonnier (professeur Madame de Coster). La licence de droit passée, j’obtiens de mes parents la récompense : l’entrée à l’Académie Julian (enseignement de Bergès, Montézin, Maury). Vifs encouragements des professeurs et Premier Prix du concours d’esquisses, donnant droit à l’année gratuite – donc encore un an à l’Académie Julian, cependant que mon père ne perd pas tout espoir et m’inscrit au barreau afin de commencer un stage d’avocat (juridiquement j’en resterai là). Puis deux ans à l’Académie libre Colarossi et surtout Grande Chaumière. Croquis chaque après-midi.

1937 : concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts, reçue élève titulaire provisoire, entre à l’atelier de d’Espagnat. Première médaille des travaux d’atelier, je deviens élève titulaire définitive. Premier prix d’Attainville en 1939, Premier prix Fortin d’Ivry en 1941. Bourse de voyage. En 1942, logiste du concours de Rome. Depuis 1939 je travaille chaque matin le modèle vivant à l’atelier de d’Espagnat et chaque après-midi la lithographie à l’atelier Jaudon dont je deviens la massière. D’Espagnat est un patron exquis. Chaque mercredi et chaque samedi matin il nous parle de peinture et plus encore de poésie et de musique et il encourage les plus libres parmi nous. Premier prix d’atelier également pour la litho. Je consacre quatre ans à l’étude approfondie du métier (depuis le grainage des pierres jusqu’à la préparation et l’impression de ces pierres, d’abord sur la presse de l’Ecole, ensuite sur une presse personnelle montée dans mon atelier). D’abord estampe en noir, puis en couleurs. Première planche de lithographie en couleurs de petit format (Femme tendant le linge)  en 1940, puis une suite inspirée par les Elégies de Francis Jammes. Première grande litho en couleurs, la Marotte en 1945 – presque toujours des scènes d’intérieur dont j’ai pu noter les éléments sur nature. En 1947 réalisation d’une illustration pour une société de bibliophilie (Le Livre Contemporain) comportant 44 lithos de huit couleurs : ce travail, très poussé, de 350 pierres, m’a orientée définitivement vers la litho en couleurs.

Mariage en 1941 avec un ingénieur sorti de l’Ecole Centrale en 1938 retour de guerre, en 1945 naissance d’une petite fille.

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A partir de 1937 j’expose au Salon d’Automne (sociétaire en gravure en 1939), au Salon des Indépendants et aux Tuileries jusqu’en 1948.

Trois expositions particulières de peinture en 1943 à la Galerie du Bac, en 1948-1949 chez Le Chapelin rue du Faubourg Saint-Honoré. Expositions en 1948 à l’Orangerie (exposition d’Art Contemporain), à l’étranger à Innsbrück, Vienne, Berlin, puis l’année suivante à Vienne (par le Salon d’Automne), Lausanne, Constance, à Monte Carlo. Encouragements de la ville de Paris : achats, commandes d’affiches, illustrations, planches d’albums. Premier prix d’aquarelle. Achats de l’État (peintures et lithographies), de l’Albertina de Vienne et du British Musuem.

A la suite du Salon d’Automne de 1948 Prouté m’a acheté des lithos en couleurs. Puis j’ai fait cet hiver une suite des Quatre Saisons de Paris (pour Le Garrec) et illustration des Petites Méditations Culinaires (pour Darantière).

Toutes les techniques m’intéressent : aquarelle, gouache, pastel (parfois mêlés), huile, fixé sous verre, monotype, afin de ne surtout pas « s’habituer » à un moyen – l’habitude étant bien près du « procédé » et pour moi le renouvellement du moyen naturel d’expression – renouvellement de la façon même de sentir une émotion devant la nature – est toujours un point de départ de toutes mes compositions et la poésie d’une lumière, la poésie d’une certaine heure (de scène toute quotidienne) – mais ce n’est jamais fait sur nature ni copie – valeurs et couleurs sont recomposées pour la nécessité du tableau – mais après beaucoup de notations sur nature. En litho je cherche à composer des estampes ayant l’attrait d’un tableau par l’harmonie des couleurs mais la puissance de la gravure par la simplification des moyens (nombre de couleurs réduit le plus possible) harmonie et formes nécessairement très voulues : travail sur pierre très libre – crayon – estompe – lavis – plume – grattage etc... Surveillance très étroite de l’imprimeur au moment de la préparation des pierres et des encres de couleur – en général cinq tons c’est-à-dire cinq pierres par estampe.

Actuellement menant ensemble les réalisations en peinture et en litho. Je cherche à faire de chaque estampe une œuvre proprement « lithographique » ayant l’attrait d’un tableau par le sujet et l’harmonie des couleurs et ayant la puissance de la gravure par la simplification des moyens : nombre de couleurs réduit, effet plus voulu d’harmonie et de forme. Je réalise souvent plus complètement un projet en litho en couleurs qu’une peinture justement par cette simplicité des moyens d’expression et par cette discipline, qui force à une recherche plus volontaire et de ce fait souvent plus aboutie. Je cherche à rendre surtout la poésie de scènes familières et quotidiennes et la douceur de vivre que l’on peut découvrir autour de nous malgré tout.

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J'ai toujours travaillé d'après des scènes de nature, paysages et surtout intérieurs, scènes familières, intimités, empreintes de poésie, cherchant à dégager cette poésie par des moyens avant tout « plastiques », attachant une grande importance à la lumière, l'atmosphère, ne reniant pas le « sujet », mais ne le prenant pas comme « fin » dernière du tableau, seulement comme moyen de créer une poésie plastique. Je fais, d'après nature, une grande quantité d'aquarelles, de croquis, dessins, etc..., puis recherche, à l'atelier, la meilleure composition et harmonie de couleurs – ceci aussi bien pour la peinture que pour les lithos en couleurs. Ma fille, qui a 6 ans, est mon modèle préféré. Toutes les techniques m'intéressent : peinture à l'huile (sur panneau de carton, la toile n'absorbant pas assez, pastels, aquarelles, souvent gouachées, monotypes, fixées sous verre, et lithographies en couleurs (5 ou 6) – depuis 10 ans, une série importante de grandes planches format raisin et des illustrations de livres.

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Concarneau, 1939

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Ornans, 1944

Ecole des Beaux-Arts, Logistes du Prix de Rome, 1942

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